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Orford : La montagne qui soulevait les foules

Des siècles d'admiration

«Au lendemain de la Première Guerre mondiale, à coup d'actions bénévoles et avec leur propre argent, les habitants des Cantons-de-l'Est ont pris en charge les premières étapes de l'aménagement du parc, raconte Jean-Pierre Kesteman, auteur de L'Orford à l'ombre et coauteur d'une Histoire des Cantons de l'Est. Quelques années plus tard, alors qu'elle était meurtrie par la crise économique, la population a forcé les chambres de commerce, les conseils de comtés et les municipalités à se mobiliser pour créer le parc.» Raclant les fonds de tiroir, 19 municipalités ont alors investi 25 000 $, notamment pour racheter les droits de coupe des entreprises forestières.

Le parc a été créé en 1938 avec l'aide du premier gouvernement formé par Maurice Duplessis. «Mais déjà, bien avant, dès le début des années 1800, les habitants de la région vouaient déjà une admiration respectueuse ce site exceptionnel», affirme Jean-Pierre Kesteman.

Encore aujourd'hui, avec ses trois montagnes, ses deux lacs, sa dizaine d'étangs et sa centaine de kilomètres de sentiers de forêts, le Parc national du Mont-Orford attire le regard des masses de visiteurs. C'est le plus beau milieu de travail dont pouvait rêver Manon Paquette. Tandis que nous poursuivons à pied notre balade près de l'étang Huppé, créé par des barrages de castors, elle nous montre les nids de grands hérons perchés sur des arbres morts. L'année dernière, 58 héronneaux sont nés dans le milieu humide du parc. «À l'automne, au temps des couleurs, faites donc aussi une petite balade à l'étang Fer-de-lance», nous conseille-t-elle. Le vallon couvert d'érables se découpe sur l'eau. Le sommet de la montagne est visible en arrière-plan, et le spectacle laisse sans voix quand la brume se lève ou que quelques rapaces planent.

C'est un spectacle perpétuel qui, dès les années 1840, a fait parler de lui jusqu'en Grande-Bretagne. Les premiers touristes britanniques remontaient d'abord le Saint-Laurent en bateau, de Québec à Port-Saint-François (Nicolet). Puis, c'était en 20 heures de diligence jusqu'à Sherbrooke et une autre journée jusqu'à Magog. De là, il fallait louer une charrette tirée par des bœufs pour traverser le marais aux Cerises et parvenir au pied de la montagne. Une aventure! Puis, c'était au tour des touristes américains d'être séduits. Ils prenaient le train jusqu'à Newport, puis remontaient le lac Memphrémagog sur le bateau à vapeur Lady of the Lake.

Jean-Pierre Kesteman est professeur émérite de l’Université de Sherbrooke. Il est notamment coauteur de Histoire des Cantons de l’Est (1998). En 2006, il a publié L’Orford à l’ombre, un livre engagé comprenant des poèmes et des texts d’opinion rédigés à l’occasion de la crise du mont Orford.
Jean-Pierre Kesteman est professeur émérite de l'Université de Sherbrooke. Il est notamment coauteur de Histoire des Cantons de l'Est (1998). En 2006, il a publié L'Orford à l'ombre, un livre engagé comprenant des poèmes et des texts d'opinion rédigés à l'occasion de la crise du mont Orford.

La beauté du paysage, avec l'étincelant lac Memphrémagog et les montagnes comme point de mire, les récompensait largement de leurs efforts. Elle captait aussi l'âme des peintres. «À part sa jumelle Owl's Head, aucune autre montagne québécoise n'a attiré davantage les regards des peintres des XIXe et XXe siècles», affirme Jean-Pierre Kesteman. Sous les pinceaux de William Henry Bartlett, d'Allan Edson et de bien d'autres, le massif du mont Orford devenait aussi élancé que certains sommets des Alpes. C'était un des sites les plus représentés sur les gravures qui circulaient alors en Europe pour faire connaître le Canada!

Le mont Orford a également exercé un grand pouvoir d'attraction sur des poètes comme Alfred Desrochers, qui était particulièrement impressionné par l'ombre projetée par ce géant au soleil couc ant. L'admiration sans borne qu'il suscitait entraînait de l'exagération. Ainsi, en 1837, Fred Weiss, un officier britannique chargé de trouver le meilleur chemin pour tracer une route entre Sherbrooke et Montréal, a escaladé la montagne avec quelques amis. «Baromètre en main, il a établi la hauteur du mont Orford, mais il s'est trompé dans ses calculs», dit Jean-Pierre Kesteman. L'Orford de Weiss avait 150 m de trop. En réalité, le mont Orford culmine à 853 m, ce qui est bien inférieur au sommet des monts Sutton (962 m), Mégantic (1105 m) et Gosford (1189 m). Qu'importe! Le mont Orford a gardé le titre de «la plus haute montagne du Canada à l'est des Rocheuses».